On the Kingdom of Siam
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L’un fut une Comédie Chinoife que-j’euſſe
volontiers vûe juſqu’à la fin, mais on la fit
ceſſèr aprés quelques Scénes, pour aller dîner.
Les Comédiens Chinois, que les Siamois aiment ſans les entendre,
s’égoſillent en ré-
citant. Tous leurs mots ſont monoſyllabes,
de je ne leur en ay pas entendu prononcer un
ſeul, qu’avec un nouvel effort de poitrine: on
diroit qu’on les égorge. Leur habillement
étoit tel que les relations de la Chine le décri-
vent , preſque comme celuy des Chartreux,
ſe rattachant par le côté à trois ou quatre
agraffes, qui ſont depuis l’aiſſelle juſqu’à la
hanche, avec de grands placards quarrez de-
vant & derriére, où étoient peints des dra-gons
& avec une ceinture large de trois doits, ſur laquelle étoient de
diſtance en diſtance, de petits quarrez, & de petits ronds ou
d'écaille de tortue, ou de corne, ou de quelque ſorte de bois : &
comme ces ceintures étoient lâches, elles étoient paſſées de chaque
côté dans une boucle pour les ſoûtenir. L’un des acteurs qui
repréſentoit un Magiftrat, marchoit ſi gravement, qu’il poſoit
premierement le pié ſur le talon, & puis ſucceſſivement & lentement
ſur la plante & ſur les doits, & à meſure qu'il appuyoit ſur la
plante, il relevoit déja le talon, & quand il appuyoit ſur les doits,
la plante ne touchoit plus à terre. Au contraire un autre acteur en ſe
promenant comme un maniaque, dardoit ſes piés & ſes bras en plu-
ſieurs ſens hors de toute meſure, & d’une maniere menaçante, mais
bien plus outrée, que toute l’action de nos Capitans ou Matamores.
C’eſtoit un Général d’Armée; & ſi les relations de la Chine ſont
véritables, cet acteur repréſentoit au naturel les affectations
ordinaires aux gens de guerre de ſon païs. Le théatre avoit dans le
fond une toile, & rien aux cotez, comme les théâtres de nos
Saltinbanques.
Les Marionettes ſont müettes à Siam, & celles qui viennent du païs de
Láos, font encore plus eſtimées qui les Siamoiſes. Ny les unes ny les
autres n’ont rien, qui ne ſoit fort commun en ce païs-cy.
. Mais
Mais les Sakinbanques Siamois font excellens, & la Cour de Siam en donne
ſouvent le divertiſſement au Roy, quand il arrive à Louvò. Elien
rapporte qu’Alexandre eût à ſes Nô-ces des Saltinbanques Indiens, &
qu’ils fûrent eſtimez plus adroits que ceux des autres Nations. Voici de
leurs tours, qu’il faut pourtant avouer que je n’ay pas conſïdéré de
prés & avec ſoin, parce que j’étois plus attentif à la Comédie Chinoiſe,
qu’à tous les autres ſpectacles, qu'on nous donnoit en meme temps. Ils
plantent un bambou en terre, & au bout de celuy-là ils en attachent un
autre, & au bout de ce ſecond un troiſiéme, & au bout de troiſiéme un
cerceau : de force que cela fait comme le bois d’une raquette ronde,
dont le manche ſeroit fort long. Un homme tenant les deux côtez du
cerceau de ſes deux mains poſe ſa tête ſur la partie inférieure &
intérieure du cerceau, léve ſon corps & ſes piés en haut, & demeure en
cette ſituation une heure, & quelquefois une heure & demie : puis il
mettra un pié où il avoit mis la tête, & ſans ſe tenir autrement, &
ſans poſer l’autre pié, il danſera à leur manière, c’eſt à dire ſans
s’élever, mais ſeulement en ſe donnant des contorſions. Et ce qui rend
tout cela plus périlleux & plus difficile, c’eft le balancement
continuel du bambou. Ils appellent un danſeur de bambou de cette eſpéce
Lot Boüang) lot veut dire paſſer & boüang veut dire cerceau.