Voyages à Peking. 4

  • Info
  • Pages
  • Transcript
  • Related
Voyages à Peking. 4
Voyages à Peking, Manille et lîle de France, faits dans lintervalle des années 1784 à 1801
WF00028D
Western
French
Chrétien-Louis-Joseph de Guignes (1759-1845)
2:420-423
1808
Paris: de lImprimerie Impériale
Page 1
Page 2
Page 3
Page 4

p. 420

L'ambassadeur étant revenu avec M. Vanbraam, nous vîmes paroître une
centaine de Chinois, dont chacun portoit au bout d'un bâton deux
lanternes à diverses facettes; ils étoient habillés d'une grande robe
verdâtre, et avoient la tête entourée d'une toile de la même couleur,
qui se nouoit sur le front. Ces hommes firent plusieurs évolutions; şe
mirent à genoux, baissèrent la tête en mesure, formèrent des carrés et
des lignes sur différentes profondeurs : enfin, après avoir passé
pardessus un pont construit avec des tables, et s'être étendus en grande
partie par terre, les uns couchés

p. 421

sur les autres, trois par trois, ils se relevèrent et se rangèrent de
chaque côté de l'empereur, sur trois lignes parallèles. Alors les
Chinois mirent le feu aux tambours, et nous vîmes une pagode avec des
personnages, des tours, des treillages et des lanternes suspendues à de
longs rubans.

Le devant des tours carrées dont j'ai parlé précédemment, étant ouvert,
on y voyoit le dessin d'un homme formé par un grand nombre de petites
mèches allumées. Nous étions occupés à examiner cette quantité
considérable de lanternes, lorsque nous vîmes s'élever le long de deux
mâts, deux grands lézards de papier vert, dont l'un monta lestement
jusqu'en haut, tandis que l'autre se contentant de montrer sa tête, ses
deux pattes et une partie de son corps, ne voulut jamais aller plus
loin, malgré les efforts de ceux qui le tiroient avec dés cordes.

Au même instant, plusieurs Chinois placés à la distance de six pieds les
uns des autres, entrèrent sur la scène, portant deux longs dragons de
toile ou de papier peint en bleu, avec des écailles blanches, dont
l'intérieur étoit garni de quelques lampions. Ces deux dragons, après
avoir salué respectueusement l'empereur, se promenoient tranquillement,
lorsque la lune étant survenue tout à coup, ils coururent après elle;
mais celle-ci se plaça hardiment entre eux deux. Les dragons la

p. 422

considérèrent alors quelques momens, et jugeant apparemment que le
morceau étoit trop gros pour l'avaler, ils prirent le parti de s'en
aller après avoir fait la révérence. La lune, fière de son triomphe, se
retira gravement, un peu rouge cependant de la course qu'elle venoit de
faire.

Un serpenteau que l'empereur alluma un instant après, mit le feu à un
amas considérable de pétards, de gerbes et de fusées qui firent un grand
bruit; nous distinguâmes quelques figures sur des piquets, mais il nous
fut impossible d'en voir l'effet, à cause des échafauds qui étoient
devant nous. L'empereur s'étant retiré, un des mandarins me conduisit
plus en avant; mais on ne voyoit presque plus rien, car tout étoit
consumé.

Les mandarins se récrièrent sur la beauté de ce spectacle, et nous
demandèrent comment nous le trouvions; nous leur répondîmes que nous
n'avions jamais rien vu de pareil, et cela étoit réellement vrai.
Pendant qu'on étoit occupé à tirer le feu, nous vîmes un Chinois habillé
tout en peau de couleur noire, et portant sur la tête celle d'un bélier
encore garnie de ses cornes. Cet homme, qui avoit l'air aussi bête que
l'animal qu'il représentoit, s'étant placé près de nous, je commençai à
le dessiner; mais les mandarins me firent signe que cela n'étoit pas
bien, et le Chinois disparut. Nous aperçûmes dans les jardins des
militaires

p. 423

entièrement vêtus d'étoffe jaune, armés de boucliers et de sabres, avec
des bonnets sur le devant desquels s'élevoient quatre plumes retroussées
; on nous dit que ces soldats étoient de la garde de l'empereur.