Voyage de mons. Olof Torée
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Ils aiment à jouer aux dés, à une ſorte de jeu de dames, & aux cartes ,
qui ſont faites de bois &c. Ils ne jouiſſent pourtant qu’avec
reſtriction de la permiſſion de jouer. Leurs hateleurs ont une dextérité
ſurprenante. Un d’eux fit voir un morceau de bois , & après quelques
hiſtoires on vit un ſerpent & une tortue à la place du bois. Les
comédiens jouent dans les rues, ſur un théatre ſuſpendu à deux maiſons
oppoſées, ou dans d’autres endroits, où les ſpectateurs peuvent avoir de
la place. Quand ils jouent leurs pièces , ils font quelquefois à la
vérité des fautes groſſières , par ex. quand huit ou dix perſonnes
représentent deux armées , ou quand au lieu de monter des hauteurs , ils
grimpent fur des chaiſes. Cependant leurs troupes qui ne ſont compoſées
que de petits garçons, ſont extrêmement bien exercées ; car ils jouent
ſouvent des jours entiers ſans interruption & varient beaucoup les
grimaces, tantôt chantans, tantôt déclamans, & tout cela en meſure.
Quand ils luttent, ils ſavent porter les coups & ſe faire terraſſer
ſuivant la cadence la plus exacte. Ils ſavent exprimer quelques paſſions
avec autant de vérité, que s’ils étoient les originaux mêmes. Un jeune
homme devoir repréfenter un mari délicat & ſoupçonneux , mais fournis à
la femme; l’autre devoit jouer le rôle d’une femme coquette & méchante,
& qui fait faire valoir, quand il le faut, l’empire qu’ elle a ſur ſon
mari. Au commencement le mari maltraita ſa femme , mais quand Madame ſ e
mit à gémir, & à pleurer, de manière que ſon corps entier en trembloit ;
le mari après s’être ſouvent jetté aux genoux de fa femme , pour
implorer ſon pardon, ne parvint qu’avec une peine infinie, à l’obtenir
d’elle ; & les articles de réconciliation ne paroiſſoient rien moins
qu’avantageux pour lui. Les inſtrumens dont ils le ſervent pour leurs
jeux, font deux petits bois d’environ fix pouces de longueur. On les met
fur le pouce & on les fait claquer ſelon la meſure, comme les
caſtagnettes. Ils ont outre cela des petits tambours, des timbales plus
ou moins grandes, des Congcong, ou des badins ronds de cuivre, des
flûtes traverſières , des guitarres , des chalumeaux faits de métal, des
cors droits, & un inſtrument que j’ai envoyé en Suède. Il conſiſte en
une hémiſphère creux, auquel on a appliqué treize ou quinze tuyaux
élevés, qui reçoivent, moyennant des ſou-papes tremblantes, l’air qu’on
ſoufle dans l’intérieur. Si la flûte paſtorale de Pan a beaucoup de
tuyaux, n’a pas été faite de cette manière , je ne conçois pas comment
il a pu ſe tirer d’affaires avec trente deux parties. Ils ont des
morceaux de muſique, qu’ils eſtiment beaucoup, mais leur muſique eſt
d’un genre tout-à-fait différent du nôtre. Il faut pourtant leur rendre
cette juſtice, que lorſqu’il y a cinq ou ſix perſonnes qui jouent, on
s’appercoit à peine, qu’il y en a plus d’une. Au reſte je crois que la
muſique Chinoiſe paroitroit inconcevable à un Italien même, s’il devoit
en juger, en l’entendant pour la première fois.