Voyage à Canton. 1
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J’ai vu leurs théâtres; ils les élèvent dans la rue ; mais ils laissent
le passage libre audessous. Leurs pièces , à ce qu’il m’a semblé ,
commencent le matin et finissent le soir. Les spectateurs sont debout;
ils se succèdent les uns les autres. Je crois que cette dépense est
faite par le Gouvernement.
Les Chinois ont des instrumens de musique qui ont peu d’effet :
plusieurs auteurs en ont parlé ; mais ce qui me surprend, c’est que ce
peuple ne connoît pas la danse ; du moins je n’en ai vu exécuter aucune,
pas même sur leurs théâtres, pendant mon séjour à Canton. Les Indiens
ont leurs bayadères , ou danseuses, qui sont attachées aux pagodes ;
mais rien de semblable n’existe à la Chine. La gravité chinoise, la
retraite des femmes, le défaut d’assemblées publiques ou particulières,
la continuité du travail, s’opposent vraisemblablement au goût de la
danse. On pourroit ajouter que leur vêtement est le plus grand obstacle.
Des caleçons amples , des robes longues, des bottes larges , dont le
soulier est très-épais , ne sont pas propres à cet exercice.
Nous voulûmes donner aux Chinois une idée de nos spectacles. Nous finies
monter un théâtre dans une très-grande salle d’une factorerie ; il fut
décoré suivant nos usages. Nous y représentâmes Zaïre, ensuite
Radamiste, et deux petite comédies, aussi bien que nous aurions pu le
faire en France. Nous avions invité les étrangers à y assister, et nous
leur donnâmes à souper. Les principaux négocians de Canton s’y
trouvèrent; ils en parurent très-satisfaits. Nous faisions quelquefois
des concerts , soit dans notre ham, soit dans celui des Anglais , soit
dans celui des Suédois. Les Européens qui aimoient la musique[1] se
réunissoient ; elle ne paroissoit pas être du goût des Chinois. Ils
n’estiment pas non plus nos ragoûts et préfèrent les leurs. J’ai mangé
plusieurs fois chez des négocians qui faisoient servir des mêts apprêtés
chez eux, avec d’autres mêts que nous faisions porter, apprêtés par nos
cuisiniers, de sorte que la table étoit servie à la chinoise et à la
française. Ils ont un ragoût composé de tripes de cochon qui est en
général très-estimé des Européens. Ils ne font que deux repas par jour,
l'un à dix heures du matin, l’autre à six heures du soir.
[1] L’invention de la musique est très-ancienne à la Chine : Ling-lun
qui a trouvé les douze demi-tons , qui sont renfermés dans les limites
d’une octave, et qu’on appelle les douze Lu, fleurissoit sous le règne
de Hoang-ti, l’an 2637, avant l'ère chrétienne. (Mémoire du P. Amiol, t.
VI, p. 77.) C’est dans cet ouvrage qu'on trouve développé le systême
inusical des Chinois, et la description de leurs instrumens de musique,
qui sont très nombreux.