Sept années en Chine. 2
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A deux heures de l’après-midi, on sert une collation composée des fruits
de la saison, après laquelle on prend encore le thé. Ordinairement dans
les bonnes maisons le dîner se sert à six heures du soir, et si c’est un
dîner prié, il doit être accompagné de musique vocale et instrumentale,
ou bien de quelque spectacle. Ces repas ne finissent que vers les trois
heures du matin. Chez les personnes moins huppées on se sépare à minuit.
Les Chinois aiment tellement à fumer le tabac qu'ils fument même
quelquefois à table, entre les services. Chaque personne amène avec soi
un ou deux valets de pipe. Cette fonction est remplie par des jeunes
gens de seize à dix-sept ans élégamment mis; ils placent la pipe dans la
bouche de leurs maîtres, et comme ils connaissent les moments où ils ont
l'habitude de fumer, ils leur présentent la pipe sans qu'elle soit
demandée.
Les Chinois riches s'habillent en étoffes de soie et en crêpe pendant la
belle saison, et en drap anglais doublé de peaux de castors ou d’autres
fourrures de prix pendant l’hiver.
Quand il est question d’un dîner d’apparat, celui qui le donne envoie
quelques jours d’avance ses invitations écrites sur de grandes feuilles
de papier rouge, et rédigées dans le style le plus prétentieux. On loue
une troupe des meilleurs acteurs pour divertir les convives, ce qui
revient à 80 ou 120 piastres (432 à 648 fr.), pour la soirée. Quant aux
acteurs médiocres, on peut se les procurer pour 25 piastres (135 fr.).
Mais dans ces sortes d’occasions, ce sont toujours les premiers acteurs
que l’on choisit, à moins que l’hôte ne soit d’une avarice sordide.
L’été il ne faut qu’un instant pour dresser un théâtre en bambous, dans
un jardin, vis-à-vis de bosquets destinés à cet usage. Pendant l’hiver
le spectacle a lieu dans le principal corps de logis que le maître de la
maison habite lui-même. En face de la scène sont préparées, d’après le
nombre de convives, plusieurs tables carrées à chacune desquelles
peuvent s’asseoir de quatre à six personnes. Dans les maisons élégantes
où tout est dans le bon genre, on ne place que deux ou trois convives à
la même table. Le côté qui regarde la scène est toujours vide, afin que
tout le monde puisse voir la représentation, et satisfaire ainsi en même
temps sa vue, son palais et son ouïe. Ce dernier sens est certainement
le plus mal partagé, car ce qu’ils nomment musique n’est qu’un
assemblage de sons incohérents, tellement barbares qu’ils produisent
l’effet le plus désagréable.
Quelques-unes de leurs comédies sont fort amusantes; mais quant aux
ballets et aux pantomimes, j’avoue que même après avoir longtemps
séjourné en Chine, il m’a toujours été impossible de débrouiller les
nombreuses énigmes qui font le nœud de l’intrigue.
Ils ne connaissent pas ces changements de scènes qui sont un des
principaux charmes de nos pièces, où les acteurs exécutent tous les
mouvements qui tiennent à l’action;, chez les Chinois, au contraire, le
jeu des acteurs ne participe nullement à ce qu’ils débitent; il faut
donc deviner que tel personnage a changé de lieu ou de rôle; pour
l’acteur, il se contente d’indiquer simplement par un signe de
convention Faction qu’il est censé faire ; on conçoit donc qu’il est
obligé de recourir à mille signes différents, et c’est aux spectateurs à
se figurer le reste.
Leur danse sur la corde, ainsi que leurs tours de souplesse, bien que
toujours accompagnés par la plus détestable musique, sont pourtant faits
pour étonner les Européens, et il faut véritablement avouer que les
Chinois ont poussé ces deux arts à un degré de perfection inconnu
partout ailleurs. Cette danse, si tant est qu’elle mérite ce nom, est la
seule connue en Chine. Le caractère morose des Chinois ne peut
s’accommoder de nos danses, si bien que ceux d’entre eux qui ont assisté
à des bals européens à Macao ont exprimé le dégoût qu’ils avaient
éprouvé en voyant des femmes prendre part à ce divertissement.