Relations de divers voyages curieux. 1
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Il y a vn Temple dans'ce Village baſti en l’honneur de leur Neptune, ou
du Dieu Eaux, vis à vis duquel eſt vne Galerie couverte par deffus, où
l’on fait des jeux & des ſpectacles à l'honneur de ce Dieu - car les
Tartares & les Chinois qui ont deſſein de paſſer la Mer de Poyan , non
ſeulement ſont obligez de faire icy leurs ſacrifices dans ce Temple,
mais il faut encores outre cela, que chacun d’eux faſſe joüer vne
Comédie courte ou longue, ſélon que ſa commodité le permet: d’abord les
choſes qui doiuent eſtre offertes, ſont preſentées par le Preſtre à
l’Idole, en ſuite on jette fur l’Autel du ſang de l’offrande, puis on
allume quelques cierges & autres parfums auec des petits Batteaux de
papier doré ou argenté, faits exprés, qu’on fait brûler ; le Preſtre
rend les reſtes de l’Offrande de celuy qui fait faire le ſacrifice, ou à
quelqu’vn de ſes gens, afin qu’ils le mangent, en quoy ils ſont fort
différens des Preſtres de l’idole dont il eſt fait mention en Daniel. La
raiſon de cela eſt que leur profeſſion ou regle, ne les oblige pas
ſeulement de garder le Celibat, mais encore de ne goûter d’aucune choſe
qui ait eu vie, ſi bien que les Mariniers qui font priez à ces repas ſe
ſoulent de viandes , excitans leurs maiſtres à offrir amplement,
principalement s’ils ſont à des Maiſtres qui ne leur faſſent pas
ornairement bonne chere , il leur arriue quelquesfois d’abandonner leurs
Vaiſſeaux & meſmes de faire qu’ils viennent heurter contre le Quay ,
dont ils rejettent la faute ſur le Capitaine du Vaiſſeau , luy
reprochant que c’eſt ainfi qu’il en arriue quand on s’oublie enuers les
Dieux, & que de cette façon ils auront encore bien d’autres dangers à
effuyer, les obligeant par-là à faire de plus grandes offrandes : Les
ceremonies du ſacrifice eſtant acheuées, le Preſtre s’auance vers celuy
qui a offert, & luy preſente vn certain Vaiſſeau verny de Lacque, afin
qu’il en tire vn billet, ou eſt marqué quelle Comedie l’on doit faire
jouer ; ce billet auſſi-toſt eſt enuoyé à ceux qui ſont dans la Galerie
dont i’ay parlé cy-deuant; incontinent apres on ouure le Théâtre & la
Comédie commence, le pays eſt plein de ces Comediens, ils ſont diui ſez
par troupes particulieres, toutefois il n’eſt pas permis d’eſtre
Comedien à tous ceux qui vou- droient bien eſtre de ce nombre, mais le
priuilege de fait la Comédie s’aferme au plus offrant.