La Chine, moeurs, usages, costumes

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La Chine, moeurs, usages, costumes
La Chine, moeurs, usages, costumes.
WF00007E
Western
French
Antoine Bazin (1799-1862.0)
2: n.p.
1825
Paris: Didot
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Comédien, grand rôle tragique.

LES représentations dramatiques constituent l’un des principaux
amusements des Chinois. Si le gouvernement ne tolère habituellement
aucun théâtre public[1], en revanche, il est peu de grands dignitaires
qui n’aient dans leur palais un emplacement destiné à l’exécution de
drames tragi-comiques, dans lesquels figurent des acteurs ambulants
qu’on loue pour une ou plusieurs soirées[2]. Ce n’est que dans les
réjouissances publiques, au commencement du nouvel an, à l’anniversaire
de la naissance de l’Empereur, qu’il est permis de représenter dans les
rues et dans les places, sur des échafaudages grossiers, quelques
pièces, qui ont été longuement revues et censurées par l’autorité; et la
troupe, qui n’a point de subvention royale à espérer, se contente des
rétributions volontaires des spectateurs.

Cet acteur tragique représente un de ces conquérants tartares qui
subjuguèrent la Chine. Peut-être est-ce le héros d’une de leurs
tragédies renommées? Ce galant usurpateur parvient, après le
renversement de l’ancienne dynastie, à amener insensiblement l'épouse ou
la fille de l’Empereur déchu à accepter sa main et la moitié de son
trône?

Les tragédies chinoises sont très-romantiques: les trois unités
d’Aristote n’y sont nullement observées; on y représente la vie entière
d’un personnage, et l’action peut durer un demi-siècle.

[1] “Les lettrés chinois travaillent peu pour le théâtre, et recueillent
peu de gloire de leurs productions en ce genre, parce que la comédie est
plutôt tolérée que permise à la Chine. Les anciens sages de la nation
l'ont constamment décriée et regardée comme un art corrupteur. La
première fois qu'il est fait mention de pièces de théâtre dans histoire,
c'est pour louer un empereur de la dynastie des Chang d’avoir proscrit
cette sorte de divertissements frivoles et dangereux. Siuen-ti, de la
dynastie des Tcheou, reçut des remontrances par lesquelles on
l’engageait à éloigner de sa cour ce genre de spectacles, dont l'effet
devait être funeste pour les mœurs. Un autre Empereur fut privé des
honneurs funéraires, pour avoir trop aimé le théâtre et fréquenté des
comédiens. C'est par une suite de cette manière de penser, qui est
universelle à la Chine, que toutes les salles de spectacles, mises sur
le même rang que les maisons de prostitution, sont reléguées dans les
faubourgs des villes. Les gazettes chinoises s'empressent de publier le
nom du plus obscur légionnaire qui s'est montré avec courage dans un
combat; elles annonceront à tout l’Empire l'action de piété filiale, le
trait de modestie et de pudeur d'une simple fille des champs; mais les
auteurs de ces papiers seraient punis, s'ils osaient insulter à la
nation jusqu'à l'entretenir du jeu et des succès d’un mime, du genre de
danse, des grâces et de la figure d'une histrionne. » (L'abbé GROSIER,
Description de la Chine, 1787.)

[2] Ces représentations théâtrales ont lieu pendant les repas, pour
égayer les convives, ou dans les soirées pour amuser les personnes
invitées.

“Les tables sont rangées sur deux rangs, et laissent dans le milieu un
large espace. A peine a-t-on pris place qu'on voit entrer dans la
salle quatre à cinq comédiens richement vêtus : ils s'inclinent tous
ensemble, et si profondément que leur front touche quatre fois la
terre. Ensuite l'un d’eux présente au principal convive le répertoire
des pièces qu'ils sont en état de représenter sur-le-champ. Ce dernier
ne désigne celle qu’il adopte, qu’après avoir fait circuler cette
liste, qui lui est renvoyée en dernier ressort. La représentation
commence au bruit des tambours de peau de buffle, des flûtes, des
fifres, des trompettes, et de quelques instruments connus des seuls
Chinois, peut-être même incapables de plaire à d'autres qu'à des
Chinois. La scène est de plain-pied; ou couvre seulement le pavé de la
salle d'un lapis. Les acteurs sortent de quelques chambres voisines
pour jouer leur rôle. Ils ont plus de spectateurs qu'il n'y a de
convives. L’usage est de laisser entrer un certain nombre de
personnes, qui, placées dans la cour, jouissent aussi du spectacle
qu’on n’a point préparé pour elles. Les femmes même peuvent y prendre
part sans être aperçues. Elles voyent les acteurs à travers une
jalousie faite de bambous entrelacés, et de fils de soie à réseaux,
qui les dérobe elles-mêmes à tous les regards.” (ld., p. 197.)