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AVERTISSEMENT
APRES ce que j’ai dit ailleurs que la Comédie accompagne preſque
toûjours les repas de cérémonie que ſe donnent les Mandarins Chinois, &
les perſonnes aiſées, & qu’elle fait partie de ces ſortes de Fêtes, on
s’attend ſans doute de voir quelqu’une de ces Comédies, qui ſaſſe juger
du goût qu’ils ont pour le Théâtre. Heureuſement je ſuis en état de
contenter ſur cela la curioſité.
Il m’eſt tombé entre les mains une Tragédie Chinoiſe, éxactement
traduite par le P. de Prémare. Il ne faut pas y chercher les trois
unitez du tems, du lieu, & de l’action, ni les autres régles que nous
obſervons pour donner de la régularité & de l’agrément à ces ſortes
d’Ouvrages. Il n’y a pas plus d’un ſicelé que la Poëſie Dramatique a été
portée en France au point de perfection où elle est maintenant, & l’on
ſçait aſſez que dans des tems plus reculez , elle étoit très-informe &
très-groſſiére.
Ainſi l’on ne doit pas être ſurpris, ſi ces règles qui nous ſont
propres, ont été inconnuës aux leſquels ont toûjours vécu comme dans un
Monde ſéparé du reſte de l’Univers. Ils n’ont pour but dans leurs Pièces
de Théâtre, que de plaire à leurs Compatriotes, de les toucher, de leur
inſpirer l’amour de la vertu & l’horreur du vice. S’ils y réüſſiſſent,
cela doit , ce ſemble, leur ſuſſire: il me ſuffit à moi-meme de faire
connoître leur goût dans ce genre d’Ouvrage, quelque éloigné qu’il ſoit
du nôtre.
Cette Tragédie eſt tirée du Livre intitulé Tuen Gin Pe Tchong. C’eſt un
Recuëil des cent meilleures Pièces de Théâtre qui ayent été compofées
ſous la Dynaſtie des Tuen. Ce Livre contient quarante volumes,
diſtribuez en quatre Tao.
Cette Piéce eſt intitulée Tchao chi con ell, c’eſt-à-dire, le petit
Orphelin de la Maiſon de Tchao: elle eſt la quatre-vingt-cinquiéme de ce
Recuëil, & ſe trouve au commencement du trente-cinquiéme Volume.
Les Chinois, dit le P. de Premare, ne diſtinguent point comme nous,
entre Tragédies & Comédies. On a intitulé celle-ci Tragédie, parce
qu’elle a paru aſſez tragique ; ces ſortes d’Ouvrages ne différent des
petits Romans Chinois, qu’en ce qu’on y introduit des Perſonnages qui ſe
parlent ſur un Théâtre, au lieu que dans un Roman, c’eſt un Auteur qui
raconte leurs diſcours & leurs avantures.
Dans les Livres imprimez on ne met que rarement le nom du Perſonnage qui
parle dans la Piéce ; ce Perſonnage , comme on verra , commence toûjours
par s’annoncer lui-même aux Spectateurs , & par leur apprendre ſon nom,
& le rôle qu’il jouë dans la Piéce.
Une troupe de Comédiens eſt compoſée de huit ou neuf Acteurs, qui ont
chacun leurs caracteres & leurs rôles affectez , à peu-près comme dans
les Troupes de Comédiens Italiens, & dans celles des Farceurs qui
courent les Provinces.
Le même Comédien ſert ſouvent à répréſenter pluſieurs rôles différens;
car comme les Chinois mettent tout en action & en dialogues, cela
multi-plieroit trop le nombre des Acteurs. Dans la Tragèdie ſuivante, il
n’y a que cinq Acteurs, quoiqu’il y ait au moins dix ou douze
Perſonnages qui parlent , en comptant les Gardes Ce les Soldats.
Il eſt vrai que l’Acteur, comme je l’ai déjà dit, commence toûjours à
s’annoncer en entrant ſur le Théâtre ; mais le Spectateur qui voit le
même viſage à deux Perſonnages tres-différens, doit éprouver quelque
embarras ; un maſque remedieroit à cet inconvénient, mais les maſques ne
ſe donnent qu’aux Scélérats & aux Chefs de Voleurs.
Les Tragédies Chinoiſes ſont entremêlées de chanſons dans leſquelles on
interrompt aſſez ſouvent le chant, pour réciter une ou deux phraſes du
ton de la déclamation ordinaire ; nous ſommes choquez de ce qu’un Acteur
au milieu d’un dialogue ſe met tout d’un coup à chanter , mais on doit
faire attention que, parmi les Chinois, le chant eſt fait pour exprimer
quelque grand mouvement de l’ame , comme la joye, la douleur, la colere,
le déſeſpoir; par exemple, un homme qui eſt indigné contre un ſcélérat,
chante; un autre qui s’anime à la vengeance , chante; un autre qui eſt
prêt de ſe donner la mort, chante.
Il y a des Piéces dont les chanſons ſont difficiles à entendre, ſur-tout
aux Européans, parce quelles ſont remplies d’alluſions à des choſes qui
nous ſont inconnuës, & de figures dans le langage , dont nous avons
peine à nous apercevoir; car les Chinois ont leur Poëſië, comme nous
avons la nôtre.
Le nombre des airs de ces Chanſons qui entrent dans les Tragédies
Chinoiſes, eſt aſſez borné, & dans l’impreſſion on déſigne cet air à la
tête de chaque chanſon. Ces Chanſons ſont imprimées en gros caracteres ,
pour les diſtinguer de ce qui ſe récite.
Les Tragédies Chinoiſes ſont diviſées en plusieurs parties que l’on
pouroit nommer Actes. La première ſe nomme Sie tſe & reſſemble aſſez à
un Prologue ou Introduction. Les Actes ſe nomment Tché; & ſi I’on veut,
on peut diviſer ces Tché en Scénes , par les entrées et les ſorties des
Perſonnages.