Histoire générale des voyages
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Les Comédies doivent être en grand nombre à la Chine, puiſqu’il n’y a
point de fête un peu diſtinguée où ne ſe ſaſſe un amusement de ces
Représentations. Mais il n’y faut pas chercher les trois unités,
d’action, de tems & de lieu, ni les autres regles auxquelles on
s’attache en Europe pour donner autant de régularité que de grâce à
cette ſorte de Compoſition. L’unique deſſein des Auteurs étant de
réjouir une aſſemblée ou d’émouvoir les paſſions, d’inſpirer l’amour de
la vertu & la haine du vice, ils ſe croient parvenus à la perfection
lorſque le ſuccès répond à leurs vûes. Ils ne mettent point de
diſtinction entre leurs Tragédies & leurs Nouvelles, excepté que les
premieres ſe prononcent ſur un théâtre. Dans l’impreſſion, les Acteurs
ſont rarement nommés, parce qu’en repréſentant une Pièce, on commence
par annoncer aux ſpectateurs les Acteurs qui doivent paroître & le rôle
qu’ils ont à jouer.
Une Compagnie de Comédiens eft compoſée de huit ou neuf Acteurs, dont
chacun eſt quelquefois chargé de différens rôles. Autrement, comme les
moindres circonſtances ſont repréſentées en dialogues, cette multitude
de rôles demanderait une troupe trop nombreuſe. On conçoît que le
ſpectateur eſt expoſé à beaucoup d’embarras. Un maſque y pourrait
remedier ; mais les Chinois n’en font guéres uſage que dans les
intermedes. En général, ce déguiſement à la Chine eſt le partage des
brigands & des voleurs.
Les Tragédies Chinoiſes ſont entremêlées de chanſons, comme le chant eſt
quelquefois interrompu pour faire place à deux ou trois lignes de
récitation. Il eſt chocquant, pour un Européen, d’entendre un Acteur qui
ſe met à chanter au milieu d’un dialogue. Mais on doit conſiderer que
parmi les Chinois, le chant exprime toujours quelque vive émotion de
l’ame, telle que la joie, la colere, la douleur ou le déſeſpoir. Un
Chinois chante, pour déclarer ſon indignation. Il chante pour s’animer à
la vengeance. Il chante même, lorſqu’il eſt prêt à ſe donner le coup
mortel.
Les chanſons des Comédies ne ſont pas fort intelligibles, ſur-tout pour
les Européens, parce qu’elles ſont remplies d’alluſions à des évenemens
qui leur ſont inconnus, & d’expreſſions figurées qui ne leur font pas
familières. Dans les Tragédies, les Airs ſont en petit nombre; &
lorſqu’on les imprime, ils ſont placés à la tête des chanſons, qui ſont
imprimées en gros caracteres pour les diſtinguer de la Proſe.
Les Tragédies font diviſées en plusieurs parties, qui peuvent porter le
nom d’Actes. La première partie, qui ſe nomme Sye-tſe eſt une eſpece de
Prologue ou d’Introduction. Les Actes ſe nomment Chis, & ſont diviſés en
Scenes, ſi l’on veut, par l’entrée & la ſortie des Acteurs.
L’Auteur nous donne pour eſſai du Théâtre Chinois, une Tragédie nommée
Chau-chi-kou-coul ; c’eſt-à-dire : Le petit Orphelin de la maiſon de
Chau. On doit la traduction de cette Pièce au Pere de Prémare,
Miſſionnaire Jéſuite , qui l’avoit tirée d’une Collection en cent
Volumes[1], de cent des meilleures Tragédies Chinoiſes, compoſée ſous la
dynaſtie de Ywen.
[1] Divifés, dit l’Auteur, en quatre Taus. Cette Pièce eſt la
quatre-vingt-cinquiéme, & commence le trente-cinquiéme Tome. Elle n’a
que cinq Acteurs, quoiqu’en y comprenant les Gardes & les Soldats il y
en ait une douzaine qui parlent.